Dans la création musicale contemporaine, Adrienne Clostre a occupé une place particulière. Elle était la créatrice d’un genre proche du théâtre musical, dans lequel les écrits intimes des personnages se mêlent aux biographies plus officielles, interrogeant, au revers des visages publics, d’autres faces, secrètes, parfois tragiques. Particulière aussi parce que cette grande liberté, de l’artiste comme de son œuvre, sa sincérité comme sa passion, l’ont tenue trop éloignée des salles de concert et de spectacle ces dernières années. 

Comblés par l’enthousiasme de la compositrice, nous avons imaginé cet hommage avec quelques étudiants et professeurs du CNSM de Paris. Accompagnés dans cette aventure par les «Amis d’Adrienne Clostre», mais aussi des membres de sa famille et les «Amis du 7», nous espérons transmettre toute la modernité d’un répertoire peu commun.

 

Adrienne Clostre se nourrit d’une énergie telle, d’un tel enthousiasme […]
qu’il nous est impossible de demeurer indifférent à ces lieux
de l’esprit qui s’ouvrent devant nous.

René Quinon, écrivain 

 

 UNE AUTO-BIOGRAPHIE

 

« Au temps où Schoenberg composait sa Suite op.29, où Ravel achevait le Boléro et Varèse ses Intégrales, Miss May Moss, peintre anglais qui venait souvent à Thomery, me prenait familièrement par l’épaule : “Cette enfant, disait-elle, avec ses grands yeux, toujours en éveil, son teint très blanc, diaphane ... est faite pour les pinceaux ...“

Après Miss May et ses fantasques peintures, toute mon existence sera jalonnée de rencontres formidables, toujours opportunes : des amis et artistes, des livres et des spectacles mais aussi toutes sortes d’impressions visuelles, et extra-musicales qui imprimeront mes spectacles [...]

La bibliothèque de mon père par exemple, Je l’ai fréquentée dès mon jeune âge. C’était une pièce mystérieuse comme un antre rempli des témoignages et secrets du monde. Irrésistiblement attirée par la magie de ces lieux, je parcourais les allers et retours des intrigues qui se cachaient parmi toutes ces pages en partie fermées, en partie entr’ouvertes. Et comme j’adorais chanter, dès cette époque j’essayais ma voix sur tous les registres, je l’inventais avec chaque fiction [...]

Quand je suis entrée au conservatoire de Paris, j’ai eu là encore beaucoup de chance. Justement à ce moment-là, le directeur Claude Delvincourt insufflait un vent de réformes qui étaient devenues franchement nécessaires. Et puis Yves Nat, pénétré d’un sens dramatique complètement schumannien, m’a ouvert un piano aux horizons très contrastés. De son côté, Darius Milhaud avec une énergie communicative digne de Jean Vilar me poussa : “ Adrienne, me dit-il, votre avenir est dans le théâtre, allez-y !“. Quel étonnant oxygène je pus enfin respirer avec Olivier Messiaen : avec Boulez, Henry ou Stockhausen, nous réinventions le monde de cet après-guerre, riche de répertoires autres, singuliers.

Après mes études, ma bonne étoile me suivit à Fontainebleau pour le concours de Rome. Je considérai le sujet imposé pour la cantate La réssurrection de Lazare comme significatif du nouveau théâtre qui me préoccupait. Par ailleurs, l’étonnant contexte du chateau, les roulades du rossignol dans les nuits du grand parc, les portraits de Wagner et ... Marcel Cerdan qui ornaient ma cellule, autant que la camaraderie qui régnait entre les candidats ont dû m’inspirer puisque le jury m’accorda le 1er Grand Prix. Chose qui me surprend encore, moi une femme et dont l’écriture en partie sérielle était si peu conforme à l’esprit qui régnait en ces lieux. Au comble de mon enthousiasme, c’est dans la ville éternelle, à la Villa Médicis, que j’épousai Robert Biset qui venait lui aussi d’obtenir le 1er grand prix de Rome d’architecture. 

Les peuples et décors de l’Italie conforteront encore mes goûts pour le théâtre, le spectacle, l’opéra. Depuis lors, l’essentiel de ma production sera consacré au théâtre lyrique, ou plus précisément un théâtre où se conjuguent les voix et instruments. 

Des voix dont la déclamation parlée ou chantée dépasse la simple narration et offre un “théâtre de l’âme“, une transfiguration musicale de la quête intérieure, métaphysique, de mes héros: Nietzsche, Kierkegaard, Baudelaire, Borges... Un spectacle musical dont les formes et langage nouveaux, j’en reste persuadée, nécessitent d’autres lieux scéniques.

Pendant nombre d’années, je n’ai choisi pour mes différents spectacles que des “héros masculins“, mais après avoir découvert l’oeuvre de Virginia Woolf, j’ai imaginé d’écrire un spectacle consacré à des “divinités“ féminines (Greta Garbo, Virginia Woolf, Camille Claudel). Ce spectacle aurait pour titre  DESTINS DE FEMMES » […] 

 

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